Liberté bloquée
- Jean-Eric Media
- 11 juil.
- 3 min de lecture
Écrit le 3 décembre 2022
Alors que les derniers festivaliers démontent leurs tentes en août et se débarrassent de la poussière du Danube, le festival Sziget retrouve son rythme de vie hongrois habituel. Pendant six jours, l'île d'Óbuda à Budapest s'est transformée en un univers à part entière : un sanctuaire de musique, d'activisme et d'ouverture radicale dans un pays de plus en plus conservateur sous la direction du Premier ministre Viktor Orbán.
L’histoire réside dans ce contraste : un affrontement entre deux mondes au sein des mêmes frontières nationales.
Deux mondes, un pays
Alors que Sziget parle d'amour, d'égalité et de liberté – avec des plateformes pour les droits LGBTQ et des débats ouverts sur l'identité et la diversité sexuelle –, Orbán prône un discours différent. Quelques jours avant le festival, le Premier ministre hongrois a évoqué, lors d'un sommet conservateur à Dallas, la nécessité de « plus de rangers, moins de travestis ». En Roumanie, il a évoqué la préservation de la « pureté raciale », suscitant de vives critiques, même au sein de son propre cercle.
Les déclarations d'Orbán ne sont pas des incidents isolés. Depuis 2010, son gouvernement a adopté loi après loi restreignant la liberté des minorités sexuelles. De l'exclusion constitutionnelle du mariage homosexuel à une loi dite « anti-propagande » interdisant de fait toute discussion sur l'homosexualité et l'identité de genre à l'école.
Le miroir magique
À Sziget, la tente du Miroir Magique symbolisait une réalité hongroise différente. On y discutait des droits des trans, de l'homosexualité et même de la transidentité de Jésus. Pour les visiteurs LGBTQ hongrois, ce lieu était un havre de paix, une oasis culturelle et émotionnelle.
Des militants comme Viktória Radványi et des organisations comme Amnesty International étaient visiblement présents. Ils ont informé les visiteurs du référendum d'avril 2022, qui invitait les citoyens à se prononcer sur les droits LGBTQ+. La campagne anti-LGBTQ+ a été si puissante que plus de 1,6 million de personnes ont annulé leur vote. Résultat : un résultat non contraignant, mais aussi une mobilisation sans précédent de la jeunesse.
Inégalité dans l'information, pas dans l'humanité
Dans les conversations à Sziget, on perçoit peu de haine, mais surtout de l'inquiétude. Non pas à l'égard des conservateurs des zones rurales, mais de leur accès à une information honnête. Selon les bénévoles présents, la haine naît souvent de l'ignorance. Dans les régions où les médias d'État dominent et où la nuance manque, les stéréotypes persistent.
Pourtant, chez les jeunes, le désir de plus de visibilité, de débat et d'émancipation grandit. Au festival, on constate que la communauté LGBTQ+ se renforce, mais aussi qu'elle devient plus stratégique et pleine d'espoir.
Pas un conflit, mais une contradiction
Si Viktor Orbán aime parler de « choc des civilisations », de nombreux militants du Sziget perçoivent une contradiction interne. Ils affirment que la Hongrie n'est pas une division entre progressistes et conservateurs, mais une société en transition, pleine de contradictions, mais aussi pleine de potentiel.
Le fait que le festival continue de prendre de l'ampleur, que de plus en plus de jeunes militent ouvertement en faveur de la diversité et que même des familles conservatrices fréquentent le Sziget montre que l'opinion publique n'est pas figée. Selon les organisateurs, le processus de changement a déjà commencé, tout comme en Europe occidentale, mais plus lentement et avec plus de difficultés.
Le pouvoir de la culture
Malgré les lois répressives, personne n'a été poursuivi pour violation de la loi anti-LGBTQ à ce jour. Le gouvernement semble gouverner par la peur et le cadrage, et non par l'application de la loi. La tactique est sophistiquée : éviter les poursuites judiciaires qui pourraient échouer à Strasbourg et, au contraire, alimenter l'opinion publique par la propagande.
Mais cette stratégie se retourne aujourd'hui contre elle. De plus en plus de jeunes rejoignent le mouvement. De plus en plus de personnes manifestent leur homosexualité. Et tandis que le gouvernement tente de semer la division, le festival construit involontairement une génération qui considère l'inclusion comme acquise.
La liberté comme contagion
Sziget n'est pas une île à part entière, mais un symbole culturel. Il illustre ce qu'est la Hongrie et où elle peut s'épanouir. Il prouve que même dans un climat répressif, la liberté ne peut être totalement réprimée, surtout lorsque les jeunes dansent, parlent et aiment sans honte.
Ce qui n'était au départ qu'un festival de musique est devenu un espace de résistance collective, politiquement engagé. En ce sens, Sziget n'est pas une échappatoire à la réalité, mais le signe avant-coureur d'une nouvelle réalité. Une réalité où les slogans de liberté, d'égalité et de fraternité prennent un sens nouveau, précisément là où ils sont le plus nécessaires.



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