Les Deux Vladimir
- Jean-Eric Media
- 11 juil.
- 3 min de lecture
Écrit le 16 septembre 2022
« L’Ukraine est une partie inaliénable de notre histoire, de notre culture et de notre espace spirituel. »
— Vladimir Poutine, 21 février 2022
Le 21 février, le président Vladimir Poutine a prononcé un discours historique décisif et ardent. Non seulement parce que, le lendemain matin, notre monde géopolitique s'est soudainement embrasé et a changé à jamais, mais aussi parce que son discours explosif a enseigné à l'humanité, une fois de plus, une sage leçon : le passé façonne notre présent. Cela s'applique aussi bien aux événements individuels apparemment insignifiants qu'aux événements qui bouleversent le monde.
Rarement mes études d'histoire, quelque peu poussiéreuses, selon certains, n'ont été aussi étroitement liées à l'actualité qu'en ce jour de février. Un millénaire plus tôt, un fils bâtard avait façonné le cours de l'histoire. Son nom ? Vladimir aussi. Saint Vladimir. Vladimir de Kiev.
« La Russie est née deux fois dans la famille européenne : la première fois par saint Vladimir, la deuxième fois par Pierre le Grand. »
—Georgy Fedotov, historien russe (1886–1951)
Une observation similaire, formulée par son homonyme Poutine, a cependant conduit à l'exclusion de la Russie de la famille européenne. Comment expliquer cette contradiction ?
Saint Vladimir naquit en 956. Il était le plus jeune fils, mais illégitime, de Sviatoslav Ier , alors Grand Prince de Kiev. Son empire s'étendait de la mer Baltique à la mer Noire. Sur la mer Noire s'étendait la riche et très développée Byzance – l'actuelle Istanbul – qui, avec Rome, était alors le centre de la chrétienté. De cette métropole partait un lucratif commerce de marchandises de Kiev, conquise par les Vikings. Ces Scandinaves faisaient partie de l'élite slave, une confédération tribale sur laquelle le jeune et belliqueux Vladimir accéda au pouvoir après une guerre fratricide sanglante.
Au départ, rien ne laissait présager un destin grandiose pour ce nouveau souverain. Il multiplia les temples païens, lieux où même des chrétiens étaient sacrifiés. Il possédait des centaines de concubines, épousa plusieurs femmes et mena une vie fastueuse, rythmée par les fêtes.
Comme souvent dans la vie d'un homme, le tournant de sa vie fut son amour pour une femme. Elle s'appelait Anne, une belle princesse de haute naissance, sœur de l'empereur byzantin Basile II .
L'héroïque Vladimir gagna sa main en écoutant l'appel à l'aide de son frère : le général rebelle Bardas Phokas devait être éliminé. Mais un obstacle subsistait : Vladimir n'était pas chrétien orthodoxe. Par coïncidence, il avait commandé des recherches religieuses quelques années plus tôt afin de trouver la religion la plus prestigieuse pour son empire. Le christianisme s'imposa comme le meilleur choix. Après tout, une nation chrétienne pouvait enfin se targuer d'une civilisation – comparable à la puissante Byzance – avec en plus l'avantage d'un prestige international et d'un accès au marché matrimonial des maisons royales européennes.
Alors, Vladimir, épris d'amour et ambitieux, prit une décision historique : il se convertit au christianisme.
Autrefois chrétien, il se montra déterminé et radical. Il rompit avec son mode de vie païen : il renia ses nombreuses épouses, ferma les temples païens et provoqua une conversion massive de ses sujets. Aujourd'hui, l'Église orthodoxe russe est l'un des piliers de la civilisation russe. La foi joue un rôle important dans la vie de nombreux Russes. Le mot « Rus » remonte d'ailleurs aux Vikings et à l'époque de saint Vladimir.
L'identité orthodoxe est intimement liée à l'identité nationale russe. L'Église a indéniablement influencé le cours de l'histoire russe. Ce n'est pas un hasard si Vladimir figure en bonne place sur le Monument du Millénaire à Novgorod, aux côtés d'autres fondateurs de la Russie comme Riourik et Pierre le Grand.
Il était une fois un bâtard de Kiev qui, à sa naissance, ne devait rien hériter, mais qui, après sa mort, allait devenir l'héritier de la culture russe.
Il y a désormais en Russie un dirigeant qui, précisément en raison de cet héritage culturel, considère que Kiev appartient au patrimoine russe. Ce faisant, ce dirigeant renonce à l'héritage de la civilisation européenne et au prestige international auquel ce bâtard de Kiev aspirait si ardemment.
Ce sont les deux Vladimir qui ont façonné le destin de la Russie. Le Vladimir du passé l'a fait en se projetant dans l'avenir. Le Vladimir du présent le fait en restant ancré dans le passé.



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